Passer au contenu

Faudra-t-il imposer une taxe?

L’Union européenne prévoit introduire un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour lutter contre les changements climatiques. Canada et les États-Unis lui emboîteront-ils le pas?

Wind energy versus coal fired power plant
iStock

Dévoilé lors de la présentation de 13 différentes politiques sur le climat ce mois-ci, le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) de l’Union européenne (UE) imposera une taxe sur les biens à intensité carbonique importés, comme le ciment, le fer, l’acier, l’aluminium, les engrais et l’électricité.

Ce mécanisme fait partie du pacte vert pour l’Europe, qui vise à réduire les émissions de carbone de 55 % par rapport aux niveaux de 1990 et à faire de l’Europe un continent climatiquement neutre d’ici 2050.

Il protégera aussi les industries de l’UE des concurrents étrangers moins réglementés sur le plan climatique et contribuera à réduire les fuites de carbone. En égalisant le prix du carbone des produits nationaux et des produits importés, l’UE évite d’éventuels transferts de production dans des pays où la réglementation est plus laxiste.

« De toute évidence, il s’agit d’un mécanisme plutôt agressif, car il s’attaque assez directement au problème », affirme Martha Harrison, avocate en commerce international et associée chez McCarthy Tétrault.

« Je pense que nous verrons, dans les 12 à 24 prochains mois, si d’autres pays adopteront une position plus ferme à l’égard de ce mécanisme ou s’ils envisageront de créer leur propre MACF. »

Le Canada se penche déjà sur le dossier. Dans son budget 2021, le gouvernement fédéral a indiqué qu’il commencerait à consulter les principaux acteurs et ses partenaires internationaux sur la conception et l’application d’un MACF.

Plus tôt ce mois-ci lors du sommet du G20, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, a discuté de l’ajustement carbone aux frontières avec Paolo Gentiloni, le commissaire européen à l’Économie. À la fin du sommet, les ministres des Finances de partout ont parlé de la nécessité de mieux coordonner ensemble l’application des mécanismes de tarification du carbone.

Mark Warner, avocat en droit commercial canadien et américain, croit que le premier ministre Justin Trudeau est peut-être pressé de s’associer à l’UE et qu’avec l’aide du Bloc Québécois et du NPD, le Parlement pourrait adopter un MACF. Le problème réside chez nos voisins du Sud, soit notre plus grand partenaire commercial. En avril, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, Jonathan Wilkinson, a dit à iPolitics que le Canada n’adopterait un barème tarifaire frontalier que si les États-Unis faisaient de même.

Bien que l’administration Biden soit ouverte à l’idée, de même qu’un nombre grandissant de démocrates au Sénat, les États-Unis n’ont pas établi de prix pour le carbone, ce qui ne facilite pas l’imposition d’une taxe sur ce produit.

Toutefois, le 19 juillet, le sénateur Chris Coons, du Delaware, et le représentant Scott Peters, de la Californie, ont proposé une nouvelle taxe à l’importation pour les pays qui ne satisfont pas aux normes américaines relatives aux émissions de carbone, ce qu’ils espèrent intégrer au « reconciliation bill » de 3,5 milliers de milliards de dollars des démocrates. Ce projet de loi se trouve en terrain glissant au Congrès, et vu la division au Sénat et la faible majorité à la Chambre, toute tentative de faire adopter un tarif frontalier se retrouvera vraisemblablement dans la même situation.

« Biden est un président passablement faible et sa capacité à agir de façon unilatérale est vraiment restreinte, commente Me Warner. Il a une très petite marge de manœuvre dans ce dossier. »

Cela dit, dans la foulée de l’annonce de l’UE, l’envoyé américain pour le climat, John Kerry, a fait savoir que les États-Unis étudiaient la possibilité d’aller dans le même sens.

« Nous avons discuté très sérieusement avec la France, les Pays-Bas et l’UE, a-t-il annoncé au Financial Times. Nous avons convenu de tenir des consultations, ce qui ne veut pas dire qu’on appuie la mise en place d’un mécanisme chez nous. C’est quelque chose dont je tiens à parler avec la Chine et d’autres pays. »

Me Harrison affirme qu’il est important de rester très près des Américains, tout comme de nos autres partenaires commerciaux, surtout ceux avec qui nous avons conclu des accords de libre-échange.

Selon Me Warner, il serait difficile pour le Canada d’adopter un tel mécanisme si les États-Unis ne le font pas.

« Les Européens sont plus libres que nous d’agir unilatéralement. Ils sont un plus gros joueur et n’ont pas de liens aussi étroits que nous avec les Américains, dit-il. On imagine mal comment cela pourrait s’appliquer aux importations américaines sans riposte au sud de la frontière… »

La bonne nouvelle, c’est que nous avons du temps; Me Warner ne s’attend pas à ce que les 27 pays membres de l’UE adoptent ce mécanisme avant pas mal de temps.

« Rien n’est facile en Europe. Nous l’avons bien vu avec le Brexit. Le MACF ne passera pas non plus comme dans du beurre. Il s’agit d’un projet ambitieux qui doit d’abord passer par le Parlement, dit-il. Donc si je siégeais à Ottawa, je conseillerais au gouvernement d’attendre; rien ne sera fait dans un proche avenir. »

Mais si le mécanisme finit par être adopté, l’UE a dit qu’il serait appliqué de façon conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous verrons bien, déclare Me Harrison, car pour le moment, il n’est pas question de remise ni d’exception pour les pays moins développés. En avril, sachant ce qui s’en venait, la Chine, l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde ont fait une déclaration commune pour exprimer leur « vive préoccupation » sur ce qu’ils estiment être un moyen de discrimination.

D’après Me Harrison, il est pratiquement impossible d’appliquer un MACF sans risque d’intervention de la part de l’OMC, mais contester le tarif frontalier de l’UE pourrait être une bonne chose. Il peut sembler discriminatoire selon les règles commerciales, mais quand même être sauvé par l’article 20 de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), la disposition sur les exceptions générales de l’OMC qui couvre certaines mesures environnementales.

« L’un des défis, c’est que l’OMC devra commenter la légalité de ces mesures et les types de règles et de procédures qui constitueront un traitement non discriminatoire ou qui seront compris dans les exceptions. Cela guidera les autres pays dans leur conception d’un MACF », déclare Me Harrison.

Tout cela serait utile aux pays qui partagent la même vision, comme les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada, que la position de l’UE pourrait encourager à créer leurs propres mécanismes d’ajustement.

« Si l’UE réussit à convaincre d’autres joueurs majeurs d’adopter des mécanismes du genre, je pense qu’il s’agira d’un tournant important dans la gestion des changements climatiques sur la planète. »