Mise en œuvre de la DNUDPA
Bien que des progrès aient été réalisés depuis que le gouvernement fédéral a inscrit son engagement dans la loi en 2021, des observateurs indiquent qu’il y a encore beaucoup à faire pour que la consultation soit respectueuse et significative et que le processus décisionnel soit partagé

Il y a maintenant plus de neuf ans que le gouvernement du Canada s’est officiellement engagé à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones (DNUDPA), déclaration qui établit les normes minimales relatives aux droits et à la dignité des peuples autochtones à l’échelle mondiale. Fondamentalement liée à la réconciliation, elle fournit un cadre permettant de corriger les injustices passées et d’établir des relations respectueuses fondées sur le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, les droits fonciers, l’intégrité culturelle et l’autodétermination.
L’engagement du Canada a été inscrit dans la loi en juin 2021 avec l’adoption de la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, laquelle présente un cadre fédéral de mise en œuvre. Un plan d’action a suivi en 2023.
Comment la situation a-t-elle évolué depuis?
Pas assez vite, selon certains.
Katie Brack, associée chez First People’s Law à Ottawa, dit qu’après quatre ans, les Premières Nations ont encore sans cesse à expliquer leurs droits, la loi, le fonctionnement de la consultation et les exigences de la DNUDPA à la Couronne.
« C’est très frustrant », dit-elle.
Bien qu’Ottawa se soit targué d’avoir une approche pangouvernementale à l’égard de la réconciliation et de la consultation, cette approche ne s’est pas matérialisée sur le terrain. Les sociétés de la Couronne ne sont pas coordonnées entre elles ou ne partagent pas d’information, et leur personnel n’a pas la même formation, les mêmes connaissances de base ou la même information sur la jurisprudence la plus récente des tribunaux.
Me Brack a assisté à des réunions où des fonctionnaires ont dû consulter leurs propres politiques sur le fonctionnement de la consultation et le partage de l’information.
« C’est difficile de mettre en œuvre la DNUDPA et de parler du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause lorsque les gens à qui vous vous adressez n’ont même pas lu les documents d’information de base et les politiques créés par leur employeur », dit-elle.
Le mois dernier, le gouvernement fédéral a publié son quatrième rapport annuel sur la mise en œuvre de sa loi sur la DNUDPA. On y apprend que des travaux ont été amorcés à l’égard de 170 des 181 mesures du plan d’action sur la mise en œuvre, six mesures étant terminées et 99 étant en cours. Toutefois, selon certains observateurs, l’approche du gouvernement pour discuter avec les communautés autochtones afin de mettre en œuvre le plan comporte des problèmes fondamentaux.
A.J. Carstairs, présidente de la Section du droit des Autochtones de l’Association du Barreau canadien, dit que, bien que le rapport fasse état de progrès significatifs, dont la Loi sur la reconnaissance de la Nation haïda et une nouvelle disposition de non-dérogation à la Loi d’interprétation, il révèle également les lacunes liées au processus consultatif de la Couronne.
« Si ensemble nous ne parvenons pas à rédiger un rapport ciblé, diligent et à double perspective, comment pouvons-nous espérer mener des consultations fondées sur cette approche? », dit-elle dans un courriel.
Elle croit que l’on doit revenir à des modèles comme la tradition wampum, soit la « loi naturelle », laquelle reposait sur l’échange cérémonial, l’interprétation, la délibération et le consentement. Selon cette tradition, ce processus devait également être constamment renouvelé.
Me Carstairs dit que la consultation des peuples autochtones doit être faite au moyen des lois autochtones et être collective, délibérée et relationnelle. De plus, la réconciliation repose sur le respect des règles adoptées par les hôtes. La Couronne le faisait jadis grâce à la tradition wampum.
« La consultation n’est pas une case à cocher. C’est un engagement. Le Canada a honoré ces engagements auparavant. Il peut le faire de nouveau », dit-elle.
La tendance du gouvernement à forcer les groupes autochtones à adopter sa version de la consultation s’explique par un manque de compréhension de la véritable gouvernance. Selon Me Brack, le gouvernement a aussi une vision étroite des intérêts autochtones, alors qu’en réalité ils vont au-delà de la chasse et de la trappe, pour englober le droit de prendre des décisions en matière de compétence qui s’appliquent à l’ensemble du territoire, ce qui est essentiel en vertu de la DNUDPA.
« Les Premières Nations ont le droit de prendre des décisions sur les terres et les ressources, droit qui n’est pas respecté », dit-elle.
Cette absence de respect est attribuable au refus constant de comprendre ce à quoi devrait ressembler une relation de nation à nation et de reconnaître que les lois et la compétence des Autochtones sur l’ensemble du territoire d’une Première Nation doivent être respectées.
Ces lacunes et écarts importants dans la mise en œuvre de la DNUDPA ressortent clairement du rapport.
Par exemple, la Loi sur l’évaluation d’impact a été modifiée pour tenir compte de la DNUDPA, et des mesures ont été prises en vue d’un processus décisionnel encore plus partagé, mais les règlements nécessaires pour faire de cette situation une réalité n’ont pas été adoptés. Me Brack dit que la Couronne et les promoteurs offrent une grande résistance au processus décisionnel partagé sur les terres et les ressources.
Un élément mis en évidence dans le rapport est la politique sur l’intendance autochtone élaborée conjointement avec Parcs Canada, qui est le type d’élaboration conjointe ou de processus décisionnel partagé significatif sur les terres et les ressources que la DNUDPA exige et que les Premières Nations demandent depuis longtemps.
Toutefois, selon elle, il s’agit d’un autre exemple de solution facile qui concerne une terre déjà mise de côté et protégée et qui n’est pas aménagée ou assujettie à des intérêts tiers.
« Mes clients ont beaucoup de difficultés à convaincre la Couronne d’accepter le processus décisionnel partagé pour l’ensemble des terres et des ressources qui respecte véritablement la compétence des communautés autochtones sur ces terres et leur droit à la gouvernance à leur égard », dit Me Brack.
Brenda Gunn, professeure de droit à l’Université du Manitoba et membre expert de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, dit que le rapport ne fait pas état du non-respect des normes internationales sur les droits de la personne et de la jurisprudence internationale des 40 dernières années ainsi que des études qui fournissent une orientation à leur sujet.
Elle s’intéresse particulièrement à la révision des lois canadiennes pour assurer leur uniformité avec la DNUDPA, et faire en sorte que la jurisprudence internationale oriente cette interprétation, et non seulement à l’interprétation par le Canada de ce que signifie le respect de ces normes.
« Cela ne veut pas dire que la norme minimale prévue par la Déclaration des Nations unies est réellement suffisante pour assurer le respect des besoins minimaux de survie et dignité des peuples autochtones du Canada », dit Me Gunn.
Bien que le rapport traite du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, il ne mentionne pas les études du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones de l’ONU, de l’Instance permanente des Nations unies sur les questions autochtones, de la Commission et de la Cour interaméricaines des droits de l’homme ou du Comité des droits de l’homme de l’ONU. Ces organismes ont indiqué comment dialoguer adéquatement avec les peuples autochtones pour obtenir ce consentement.
Selon Me Gunn, cette absence est susceptible d’entraîner un processus dans le cadre duquel nous définissons nous-mêmes les exigences de la Déclaration des Nations Unies, ce qui, à son avis, pourrait empêcher le respect des normes minimales à son avis.
Bien que l’inclusion par le gouvernement d’une disposition de non-dérogation dans la Loi d’interprétation est importante pour ce qui est des droits existants ancestraux ou issus de traités indiqués à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, Me Gunn dit que le défi tient au fait que les tribunaux ont considérablement limité les droits qui seront visés par la catégorie des droits reconnus par l’article 35.
« Nous n’avons toujours pas de mécanisme ou de processus nous permettant de nous assurer que les droits protégés par l’article 35 sont harmonisés aux protections offertes par la DNUDPA », dit-elle.
« C’est un énorme écart. »
Ce qui l’inquiète le plus au sujet du plan d’action et de sa mise en œuvre est que le gouvernement n’a pas commencé par demander comment il pouvait collaborer avec les peuples autochtones pour le mettre en œuvre. Le rapport n’explique pas non plus comment le gouvernement prend ses décisions de financement afin de s’assurer de mobiliser ceux qui souhaitent participer au processus de mise en œuvre, qui ont des droits en jeu ou qui ont une expertise pour participer.
Me Brack indique que plusieurs Premières Nations n’ont pas le financement leur permettant de participer aux processus décrits par le plan d’action, de défendre adéquatement leurs intérêts dans le cadre des consultations ou d’entreprendre des études environnementales ou à réaliser des études sur l’usage traditionnel des terres. Aucune disposition ne prévoit l’augmentation du financement, et la majeure partie du financement fourni par le passé a été retiré cette année.
Elle fait remarquer que le financement n’a soit pas été renouvelé pour les tables de gouvernance ou a été supprimé pour les Premières Nations ayant des revendications particulières.
« Il y a maintenant de nouveaux obstacles à la participation à tous les projets que le gouvernement espère réaliser », dit Me Brack.
« Les Premières Nations ont de plus en plus le fardeau de trouver leur propre financement. »