De l’accompagnement à leurs côtés
De plus en plus de Canadiens n’ont pas les moyens de payer les milliers de dollars généralement nécessaires pour engager un juriste. L’accompagnement juridique est-il la solution?

Peu de Canadiens et Canadiennes échappent aux problèmes juridiques.
D’après un projet du Forum canadien sur la justice civile, pratiquement tous les adultes au pays seront confrontés à un grave problème juridique en droit civil ou de la famille au cours de leur vie.
De plus, des statistiques montrent que chaque année, près d’un Canadien sur cinq est en proie à de graves problèmes juridiques.
La vaste majorité de ces personnes ne sont pas admissibles à l’aide juridique, mais n’ont pas les moyens d’engager un juriste. C’est pourquoi, dans les affaires de droit civil et de la famille, jusqu’à 80 % des plaideurs choisissent de se représenter eux-mêmes.
Ces personnes se présentent avec des documents mal rédigés, sans connaître le droit et les procédures judiciaires, ce qui est un lourd fardeau pour un système de justice qui connaît déjà des retards importants.
C’est auprès d’elles que les accompagnateurs et accompagnatrices juridiques cherchent le plus à faire œuvre utile, en offrant une option plus abordable que les services juridiques traditionnels, du moins dans les affaires simples.
Au lieu de représenter leur client, ces professionnels du droit fournissent de l’orientation en coulisse pour une fraction des honoraires d’un juriste. Ils peuvent aider les clients à déterminer la meilleure marche à suivre, puis les guider à bon port en répondant à leurs questions, en examinant des documents et en les préparant à leur audience au tribunal.
Ces plaideurs qui se représentent eux-mêmes peuvent-ils plaider aussi bien qu’un avocat?
« Non, probablement que non, estime Jo-Anne Stark, avocate agréée en Saskatchewan et pionnière de l’accompagnement juridique. Mais ils comprendront les questions lorsqu’ils se présenteront au tribunal. Ils se concentreront là-dessus, et leurs documents seront prêts… Ils ne feront pas perdre de temps au tribunal. »
Selon elle, le fait d’être accompagné par un accompagnateur ou une accompagnatrice en coulisse « donne vraiment plus de moyens d’action au client ».
Outiller les plaideurs qui se représentent eux-mêmes
Chez Momentum solutions juridiques à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, Marie-Hélène Haché fournit de l’accompagnement juridique, des services juridiques dégroupés et des services complets de représentation, principalement dans le domaine du droit de la famille.
Elle aide parfois des clients à comprendre les exigences pointilleuses liées aux dépôts au tribunal, veillant à éviter que les documents soient rejetés parce qu’il manque un numéro de page ou que les marges sont décalées d’un centimètre. Dans d’autres affaires, Me Haché explique les procédures judiciaires et aide ses clients à préparer leur stratégie.
« Ils sont heureux d’avoir quelqu’un à qui parler et quelqu’un qui les soutient, rapporte-t-elle. J’aime les voir quitter mon bureau rassurés. »
Chez Butterfly Legal, en Colombie-Britannique, Matt Canzer offre des services d’accompagnement pour les affaires aux petites créances, que ce soit un propriétaire de PME aux prises avec une rupture de contrat ou des propriétaires résidentiels aux prises avec un entrepreneur en rénovation peu coopératif.
« Dans les affaires aux petites créances, le nerf de la guerre, c’est de présenter les faits clairement avec des éléments de preuve admissibles, explique Me Canzer, avocat plaidant chevronné qui a commencé à offrir de l’accompagnement en 2021. C’est très difficile à faire quand on n’a pas de formation en droit. »
Il s’entretient avec ses clients par vidéoconférence pour analyser des points précis. Par ailleurs, il s’apprête à lancer sur le Web un cours autodirigé qui traite de tout, de l’évaluation du bien-fondé de l’affaire à l’organisation des documents judiciaires.
D’après Me Canzer, ce n’est pas pour effectuer des recherches ou comprendre la jurisprudence que les plaideurs qui se représentent eux-mêmes ont le plus besoin d’aide : c’est pour décider de la marche à suivre – notamment quand présenter une offre ou quoi faire quand la partie adverse ne donne pas de nouvelles – et gérer le stress psychologique.
« Je souhaite tranquilliser le plus possible les clients, dit-il. Je veux qu’ils sachent clairement quelles sont leurs options, y compris les risques et les avantages de chacune, et aient confiance en leur capacité à prendre la décision servant le mieux leurs intérêts. »
Une question de compatibilité
Ce ne sont pas tous les juristes qui font un bon accompagnateur. Pour ce rôle, il faut être disposé à lâcher la bride et à laisser le client prendre les rênes, savoir expliquer des idées complexes en termes simples, et avoir une grande empathie et une excellente intelligence émotionnelle.
De même, ce type d’accompagnement ne convient pas à tous les clients.
« Cette option permet de réduire les frais juridiques, mais il faut investir du temps et de l’énergie, fait observer Me Canzer. Ce n’est pas à négliger. »
Me Haché, pour sa part, estime que le candidat idéal est intelligent, organisé et bien préparé.
« Toutes ses affaires sont en ordre, ajoute-t-elle. Et dès les premiers contacts, on voit que la personne veut prendre en charge l’affaire, et simplement obtenir quelques conseils. »
Même si la plupart des gens préféreraient confier cette responsabilité à un professionnel, Me Haché explique que l’accompagnement juridique est une bonne solution pour les particuliers et les entreprises qui n’ont pas les moyens de se faire représenter.
Elle voit là une occasion de faire davantage œuvre utile en tant que juriste.
« Nous pouvons ainsi aider plus de gens à obtenir les résultats recherchés. »
Sur le plan des affaires, l’accompagnement est utile pour combler les trous dans son horaire, aux moments où elle n’a pas le temps d’offrir des services complets à un client.
Populariser l’accompagnement juridique
Quand Me Stark a démarré son entreprise d’accompagnement juridique il y a dix ans, elle connaissait seulement deux autres cabinets qui offraient ce genre de services au Canada. Quand les demandes d’accompagnement ont commencé à affluer des quatre coins du continent, elle s’est rendu compte qu’il serait plus avantageux de former davantage d’accompagnateurs et d’aider le secteur juridique à adopter cette nouvelle manière d’épauler les clients « autonomes ».
Dans cette optique, elle a siégé à des comités, publié l’ouvrage Mastering the Art of Legal Coaching et fondé la Legal Coaches Association, qui offre un cours certifié en accompagnement juridique.
Selon Me Stark, l’offre et la demande continuent d’augmenter aujourd’hui, sans enlever de travail aux cabinets existants. Après tout, les entreprises continueront d’avoir besoin d’avocats pour s’occuper des affaires complexes et les représenter au tribunal. Il y aura toujours des personnes nanties ayant les moyens de se faire représenter.
L’accompagnement représente un marché inexploité.
« Dans dix ans, prédit-elle, je suis certaine que cette option se sera généralisée, ce qui profitera aux clients, aux juristes et au système de justice. »