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Prendre un congé sabbatique sans scarifier sa carrière?

Entre les journées au tribunal, les boîtes de réception surchargées et les semaines de travail de 80 heures, un congé sabbatique peut sembler une lubie pour de nombreux juristes. Toutefois, une pause prolongée peut vous être bénéfique ainsi qu’à votre cabinet.

Vue aérienne de personnes faisant de la plongée avec tuba près d'un catamaran ancré dans les eaux bleues des Caraïbes
iStock/cdwheatley

Lorsque Curtis Behmann est devenu associé chez Borden Ladner Gervais, il a constaté avec joie que son entente lui accordait trois mois de congé prolongé.

Ainsi, en 2019, il a pris un congé de deux mois pendant les vacances d’été de ses quatre jeunes enfants et un autre d’un mois en décembre pour visiter sa famille à l’étranger. La période de congé prolongée lui a permis de vivre toutes sortes d’aventures, grandes et petites, et d’éviter de retourner au bureau en étant plus fatigué qu’auparavant.

Son domaine de pratique était la propriété intellectuelle, et le respect des délais, la notification des clients principaux de son congé sabbatique à venir et le transfert de dossiers à des collègues a nécessité une certaine mesure de planification. Mais lorsque son congé a commencé, il a laissé son ordinateur portable au bureau, a retiré son courriel de travail de son téléphone et a formaté sa boîte de réception pour qu’elle retire automatiquement les bulletins pour qu’il ait moins de messages à parcourir à son retour.

« Je crois fermement que pendant un congé, la coupure avec le travail est essentielle. Vous n’êtes pas véritablement en vacances si vous vérifiez vos courriels tous les jours », dit Me Behmann.

La nature de son travail a facilité la prise du congé, « il y a peu d’urgences en propriété intellectuelle », tout comme la culture d’entraide au cabinet qui favorise le remplacement les uns des autres.

« Quand je suis revenu, je me sentais reposé et ragaillardi. Je crois même que j’étais un peu plus motivé à reprendre le travail. »

Créer de l’espace pour recalibrer une carrière

Pour Erin Easingwood, le congé sabbatique l’a sauvée de l’épuisement professionnel.

En 2016, elle était juriste depuis dix ans, jouissait d’une carrière fructueuse et elle était devenue associée d’un cabinet de taille moyenne de Vancouver, LK Law.

Cette année-là, toutefois, sa mère est décédée. Elle a aussi eu deux enfants les deux années qui ont suivi. Elle a ainsi dû repousser ses limites alors qu’elle conjuguait la parentalité et ses semaines de travail de 60 à 80 heures. Puis la pandémie de COVID-19 est arrivée. Son anxiété déjà grave s’est intensifiée.

« J’ai tout simplement frappé un mur », dit-elle.

Me Easingwood a annoncé son départ, a acheté un catamaran de 40 pieds et a passé la majeure partie des deux années suivantes à naviguer le long du littoral pacifique du Mexique avec son époux et leurs deux jeunes filles.

Elle a transféré ses dossiers de planification successorale à un avocat, ses dossiers commerciaux à deux autres avocats et s’est retirée de la société de personnes.

« Heureusement, les associés ont très bien compris », dit-elle.

Le temps que Me Easingwood a passé sur la plage et à se rapprocher de ses filles s’est avéré bénéfique. Il lui a aussi permis de raviver sa passion pour sa profession. Ainsi, lorsque le cabinet LK Law l’a contactée en 2023 pour lui offrir un poste contractuel qui lui permettait de travailler à distance, elle l’a accepté avec joie.

Aujourd’hui, elle gère des successions, fait du mentorat auprès de jeunes juristes, travaille sur des modèles d’actes et améliore les systèmes et processus du cabinet.

« Je peux ainsi faire tout ce que j’aime vraiment dans le cadre de ma pratique », dit Me Easingwood.

Ménager une place à d’autres priorités

En 2022, Darlene Richards-Loghrin a choisi d’abandonner sa pratique chargée en droit immobilier de Toronto pour littéralement prendre la route.

Son époux, qui souffre de la maladie de Parkinson, ainsi que deux de leurs amis aussi atteints de ce trouble neurologique incurable, ont décidé de parcourir à vélo la distance entre Victoria, en Colombie-Britannique, et St. John’s, à Terre-Neuve, pour amasser des fonds destinés à des organismes de bienfaisance luttant contre la maladie de Parkinson.

Qui s’est installé derrière le volant du VR de 32 pieds servant de véhicule de soutien et d’hébergement du Spinning Wheels Tour? Me Richards-Loghrin, qui y a vu une excellente occasion et une pause salutaire d’une pratique qui fonctionnait à plein régime en raison de la fièvre immobilière déclenchée par la pandémie.

Elle a parlé de ses plans à des agents immobiliers et à des courtiers hypothécaires de son réseau. Elle a licencié deux employés à qui elle a donné un avis suffisant pour qu’ils se trouvent un autre emploi. Elle a pris des dispositions pour transférer ses clients à un autre juriste exerçant seul en échange d’une commission d’aiguillage, puis elle a pris la route.

Pendant que les autres membres de l’équipe étaient à vélo, faisaient la promotion de la tournée sur les médias sociaux et donnaient des entrevues aux médias, Me Richards-Loghrin faisait les courses et la cuisine, établissait un campement et s’occupait du lavage.

« Quand on parcourt 8 000 kilomètres, ça fait plusieurs brassées de lavage », dit-elle en riant.

La tournée a été un succès, et Me Richards-Loghrin a plus tard aidé à la transformer en une activité de financement annuelle avec Parkinson Canada.

Bien qu’elle admette en toute franchise que l’année a été difficile sur le plan financier, il n’a pas fallu beaucoup de temps pour que les clients se présentent de nouveau lorsqu’elle a repris le travail. Deux ans plus tard, lorsqu’un poste au cabinet Junction Law de Toronto s’est présenté, elle a saisi la chance de reprendre du service, sans les tracasseries de la gestion de sa propre pratique.

« Je suis très heureuse », dit-elle.

« De plus, je fais autant d’argent qu’auparavant. »

Protéger le plus « grand atout » d’un cabinet

Peu importe le scénario, les congés sabbatiques nécessitent beaucoup de planification.

Le ou la juriste qui prend congé doit déterminer comment survivre avec un salaire réduit ou même sans salaire.

De son côté, le cabinet doit réaffecter la charge de travail pour continuer de servir les clients sans surcharger les associés et les partenaires qui prennent la relève.

À bien des égards, la situation n’est pas différente de l’octroi d’un congé parental. Me Behmann croit que l’offre de congés sabbatiques peut être un geste intelligent en matière de ressources humaines; les cabinets peuvent ainsi conserver les talents dans lesquels ils ont investi et les autres membres de l’équipe bénéficient de nouvelles possibilités.

« Le droit est une industrie de service dans laquelle nos membres sont le plus grand atout », dit-il

« Il faut prendre des mesures proactives pour veiller à ce que nos membres soient au meilleur de leur forme. »

Bien que la prise d’une pause temporaire du travail s’accompagne de risques, Me Richards-Loghrin croit que ces derniers en valent la peine.

« S’il y a une leçon à tirer de la maladie de Parkinson, c’est qu’il ne faut pas attendre », dit-elle.

« Si vous voulez faire quelque chose, faites-le. »